Marineland : un parc à thématique de maltraitance animale
Auteur·e·s
Philomène Paul (Membre du FEDJA)
Publié le :
30 novembre 2023
« Tout le monde aime Marineland! » On se souvient tous de la chanson publicitaire qui vantait le plaisir de visiter cet attrait touristique ontarien. Cependant, le slogan du parc d’attractions aquatique ne pourrait être plus trompeur. Marineland soulève chez la population de plus en plus d'inquiétudes par rapport au traitement qu’il donne aux animaux gardés en captivité.
Tout le monde aime Marineland!
En août dernier, La Presse canadienne a découvert que 14 baleines et un dauphin y sont morts depuis 2019 (1.1). Cette information, ayant été gardée secrète par Marineland ainsi que le gouvernement, ne fut divulguée au public qu’après investigation par cette agence de presse. D’ailleurs, la demande d’accès à l’information initialement entreprise par les journalistes a été refusée. C’est suite à un appel de la décision que l’information fut communiquée par le ministère du Solliciteur général de l’Ontario. Ce dernier avait entamé une enquête en janvier 2020 auprès des pratiques de Marineland, bien avant la sortie des statistiques, mais avait gardé l’opération sous silence. Le gouvernement ontarien, par l’entremise de sa Direction des services relatifs au bien-être des animaux, ne dévoile jusqu’à ce jour aucune mesure prise par les inspecteurs ni aucune mise à jour sur l’avancement de l’investigation, en plus de refuser de répondre aux questions des journalistes (2). Une des rares communications faites par le ministère du Solliciteur général fut d’assurer qu’il « n'hésitera pas à émettre des ordonnances si Marineland enfreint les règles » (3), ce qui, si la tendance se maintient, ne pourra pas être vérifié par la population ni par les médias si le ministère continue de ne rien dévoiler. Malheureusement, le traitement des animaux est une pratique souvent gardée loin des projecteurs. Une des seules solutions efficaces pour alarmer la population et éviter que les animaux ne se fassent abuser sous silence est d’infiltrer illégalement des emplacements. Beaucoup d’industries agroalimentaires gardent des animaux de ferme dans des conditions exécrables. Les bovins utilisés dans les rodéos comme à St-Tite sont abusés. Si des activistes ne s’étaient pas infiltrés dans le milieu pour investiguer et ensuite dénoncer ces injustices, la triste réalité de ces êtres animaux n’aurait pas été connue du public et les abuseurs auraient continué de profiter de cette ignorance pour perpétuer la maltraitance.
Ces décès sont probablement liés à la mauvaise qualité de l’eau dans les bassins où sont gardés les animaux. Marineland nie catégoriquement cette hypothèse et réitère qu’il priorise le bien-être des animaux, tout en refusant de répondre à toutes questions de la presse par rapport à leur état de santé. En mai 2021, une ordonnance a été émise par les Services de protection des animaux pour réparer et mieux entretenir le système de traitement d’eau (4.1) parce que des inspections ont révélé que la qualité de l’eau était si mauvaise qu’elle affligerait la survie des animaux. En effet, des inspecteurs ont déclaré que « l'échantillonnage de la qualité de l'eau a montré des résultats qui étaient en dehors des paramètres minimums requis » (4.2). Marineland n’a pas respecté cette ordonnance qu’elle a contestée en appel en niant cette affirmation et en réitérant qu’aucun animal sous sa garde n’était en danger.
Réactions à la situation
Plusieurs activistes pour la cause animale dénoncent le manque de transparence de cette opération et se disent inquiets pour les animaux. C’est le cas de Phil Demers, un ancien entraîneur à Marineland et Melissa Matlow, directrice de campagne pour l’organisme Protection mondiale des animaux. En gardant la population ignorante, la cause animale est négativement affectée. C’est par l’ignorance des usagers des parcs aquatiques que les entreprises comme Marineland peuvent continuer à faire du profit et perpétuer leurs pratiques néfastes envers les animaux qui ne sont pas faits pour être gardés en captivité. La mobilisation de la population est primordiale pour mettre en place des moyens de pression tels qu’un boycottage. Cela pourrait forcer le parc à améliorer le traitement qu’il donne aux animaux ou mieux encore, cesser de participer à la garde d’animaux en captivité. Pour ce faire, les consommateurs doivent pouvoir s’informer sur la mauvaise qualité de vie des animaux, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Certains politiciens formulent des critiques quant aux actions déployées pour prendre cette situation en main. Le chef du Parti vert Mike Schreiner va même jusqu’à demander la fermeture du parc pour qu’il tombe sous la tutelle du gouvernement. Wayne Gates, le député provincial néo-démocrate de la circonscription de Niagara Falls, où se trouve Marineland, se dit troublé par les nombreux décès qu’il attribue à la responsabilité du parc. Il propose une réorientation de l’attrait touristique vers une vocation qui miserait sur les manèges, et non plus sur les animaux (1.2). Cette alternative permettrait à Marineland de ne pas fermer ses portes. Le parc a tout de même un impact positif sur l’économie et le tourisme de la région, et offre quelque 700 emplois saisonniers.
Législation
Plusieurs lois assurent une certaine protection de ces animaux maintenus en captivité. L’Ontario s’est muni de sa Loi de 2019 sur les services provinciaux visant le bien-être des animaux (5). Pour insister sur la nécessité de l’encadrement des mammifères marins, la province a adopté son Règlement de l’Ontario 444/19 (6) qui prévoit des normes supplémentaires et des exigences administratives pour les gardiens d’animaux de cette catégorie. Également, la Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins (7), en vigueur depuis 2019, modifie l’article 445.2 du Code criminel et certaines autres lois pour interdire ou limiter fortement la garde de cétacés en captivité à des fins autres que scientifiques. L’alinéa 4 de cet article vise précisément les parcs aquatiques : «commet une infraction quiconque organise […] quelque […] exposition, divertissement, exercice, démonstration ou événement au cours duquel des cétacés sont donnés en spectacle». La police de Niagara avait accusé le parc en vertu de cette loi suite à une plainte déposée par l’organisme Last Chance for Animals, mais la couronne a suspendu cette inculpation par la suite en 2019 (8). Le procureur général n’a donné aucune justification à la fin de cette poursuite. Marineland se défend en justifiant ses pratiques comme éducatives et ayant pour objectif la conservation des espèces au lieu de les étiqueter comme des activités de divertissement (9).
Prioriser le bien-être animal?
Ce n’est pas seulement la manière dont Marineland s’occupe de ses animaux qui pose problème, mais bien l’ensemble du concept qui consiste à séquestrer des animaux marins sauvages dans des bassins sous-stimulants. Ces espèces d’animaux marins ont besoin de chasser, d’explorer et de se déplacer en profondeur sur de grandes distances, ce qu’ils font souvent en grands groupes. Malheureusement, en captivité, les animaux n’ont de place que pour tourner en rond, ce qui devient rapidement déprimant. La grandeur des bassins peut se comparer à la taille d’une baignoire pour un être humain (10.1). Un rapport énoncé par l’organisation Protection mondiale des animaux révèle que « même dans les installations les plus vastes, [les cétacés sauvages] vivent dans moins qu’un millionième (0,0001%) de leur habitat naturel » (11.1). Plusieurs problèmes physiques et mentaux sont aussi des conséquences de leur captivité. Entre autres, il est pratique courante que les animaux se fassent administrer des médicaments comme de la benzodiazépine (12.1) pour les calmer lorsqu’ils expriment des symptômes reliés au stress, à l’isolement et pour palier à leurs agissements « névrotique[s] et au niveau anormal d’agressivité » (11.2). À force de ronger les barrières métalliques qui les retiennent, les animaux abîment, cassent ou perdent leurs dents, un « comportement stéréotypé d’automutilation » (12.2). Les orques et les dauphins peuvent devenir fous dû au fait que leur mode de communication, l’écholocalisation, ne peut pas fonctionner normalement dans des bassins trop étroits puisque « les réverbérations de leurs propres sonars rebondissent sur les parois » (10.2).
Le dernier épaulard de Marineland est décédé en mars 2023 après avoir dû vivre une quarantaine d’années en captivité. Animal Justice a déposé une plainte en juillet 2021 accusant Marineland de négligence psychologique et physique envers l’orque nommée Kiska (13). Cette espèce est très sociale dans la nature et Kiska a subi un isolement total pendant une décennie. Le fait d’avoir placé l’épaulard dans cette situation pourrait être qualifié par certains de pratique causant de la détresse ou de la négligence animale, ce qui est interdit par la législation ontarienne (14).
Le mouvement contre Marineland se déploie également à Antibes sur la Côte d'Azur où la mort d’une orque le 21 octobre 2023 a causé une manifestation de l’association One Voice. Est-ce qu’il faudra attendre la mort de plus d’êtres animaux pour entreprendre des actions concrètes contre la pratique cruelle de leur captivité pour le divertissement humain? Le cas de Marineland n’en est qu’un parmi tant d’autres. Il s’agit d’un rappel qu’il existe bien d’autres milieux où des organisations transgressent les droits des animaux sans graves conséquences. Ce qui rend cet abus possible : le manque de visibilité de ces êtres considérés par bien des gens comme inférieurs. Refusons d’encourager les parcs animaliers qui ne voient les animaux que comme des biens destinés à amuser les foules. Ce sont des êtres sensibles qui ne demandent qu’à être enfin libres comme ils le sont destinés.
Image: https://images.app.goo.gl/EFMEvhvaFRmNDJYt5
(1.1) Radio-Canada, « 14 baleines et un dauphin sont morts au parc aquatique Marineland depuis 2019 », Radio-Canada Info, 24 août 2023, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2005734/marineland-beluga-morts-enquete >
(2) Liam Casey, « On ne sait toujours rien de l’enquête des inspecteurs provinciaux sur Marineland », L’actualité, 18 octobre 2023, en ligne : < https://lactualite.com/actualites/on-ne-sait-toujours-rien-de-lenquete-des-inspecteurs-provinciaux-sur-marineland/ >
(3) Radio-Canada, « L’Ontario silencieux sur le traitement des animaux à Marineland », Radio-Canada Info, 18 octobre 2023, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/rci/fr/nouvelle/2019011/marineland-silence-gouvernement-morts-baleines >
(4.1) Radio-Canada, « Marineland : des mammifères marins « en détresse », selon un organisme provincial », Radio-Canada Info, 19 juillet 2021, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1810293/marineland-detresse-qualite-eau >
(4.2) Radio-Canada, « Marineland : des mammifères marins « en détresse », selon un organisme provincial », Radio-Canada Info, 19 juillet 2021, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1810293/marineland-detresse-qualite-eau >
(1.2) Radio-Canada, « 14 baleines et un dauphin sont morts au parc aquatique Marineland depuis 2019 », Radio-Canada Info, 24 août 2023, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2005734/marineland-beluga-morts-enquete >
(5.1) Loi de 2019 sur les services provinciaux visant le bien-être des animaux, L.O., c. 13
(6.1) Normes de soins et exigences administratives, Règl. 444/19 (Ont.)
(7) Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins, L.C. 2019, c. 11
(8) Radio-Canada, « L’accusation de cruauté animale contre le parc touristique Marineland suspendue », Radio-Canada Info, 22 décembre 2022, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1943530/dauphins-baleines-attractions-violence-niagara-police >
(9) Radio-Canada, « Le parc Marineland fait l’objet d’une enquête de la police du Niagara », Radio-Canada Info, 11 décembre 2021, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1846720/plainte-marineland-enquete-police-niagara-divertissement-dauphins >
(10.1) Peta France, « Aquariums et parcs marins », PETA France, s.d., en ligne < https://www.petafrance.com/nos-campagnes/divertissement/aquariums-et-parcs-marins/ >
(11.1) Protection mondiale des animaux, The Case Against marine mammals in captivity, 5 éd., Washington DC, Dave Tilford, 2019, en ligne : < https://fr.worldanimalprotection.ca/un-plaidoyer-contre-la-captivite-des-mammiferes-marins#:~:text=Les%20c%C3%A9tac%C3%A9s%20sauvages%20(baleines%2C%20dauphins,%25)%20de%20leur%20habitat%20naturel >
(12.1) C’est assez !, « Mammifères marins en captivité : maladies et soins vétérinaires », C’est assez !, 5 décembre 2020, en ligne : < https://www.cestassez.fr/2020/12/05/mammiferes-marins-en-captivite-maladies-et-soins-veterinaires/ >
(11.2) Protection mondiale des animaux, The Case Against marine mammals in captivity, 5 éd., Washington DC, Dave Tilford, 2019, en ligne : < https://fr.worldanimalprotection.ca/un-plaidoyer-contre-la-captivite-des-mammiferes-marins#:~:text=Les%20c%C3%A9tac%C3%A9s%20sauvages%20(baleines%2C%20dauphins,%25)%20de%20leur%20habitat%20naturel >
(12.2) C’est assez !, « Mammifères marins en captivité : maladies et soins vétérinaires », C’est assez !, 5 décembre 2020, en ligne : < https://www.cestassez.fr/2020/12/05/mammiferes-marins-en-captivite-maladies-et-soins-veterinaires/ >
(10.2) Peta France, « Aquariums et parcs marins », PETA France, s.d., en ligne < https://www.petafrance.com/nos-campagnes/divertissement/aquariums-et-parcs-marins/ >
(13) Radio-Canada, «Mort de l’orque Kiska : des experts déplorent ses conditions de vie à Marineland », Radio-Canada Info, 10 mars 2023, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1962294/kiska-epaulard-orque-mort-marineland-ontario >
(14) Notamment : Normes de soins et exigences administratives, Règl. 444/19 (Ont.), art.5 et Loi de 2019 sur les services provinciaux visant le bien-être des animaux, L.O., c. 13, art. 15