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Les VCS 2.0 : le fléau numérique de la manosphère

Auteur·e·s

Lina Tourabi, Comité Femmes et Droit
Marilou-Rose Caron & Esmaya Jilwan, Comité juridique contre les violences à caractère sexuel

Publié le :

29 novembre 2024

« De pire en pire. »


C’est le constat qui revient souvent quand on lit les headlines des journaux ces temps-ci. On ne peut que tristement observer une réalité : les femmes à travers le monde sont autant secouées que frustrées, et avec raison. Que ce soit l’affaire Mazan qui en a brutalisé plusieurs, le scandale de P. Diddy qui nous plonge dans une méfiance plus que justifiée envers les géants d’Hollywood, ou encore le meurtre d’une doctoresse en Inde, qui remet en cause la sécurité des femmes dans leur propre milieu de travail. Les médias et réseaux sociaux sont inondés d’histoires morbides qui révèlent les actions de personnes des plus communes aux plus influentes.

L’oppression dans toutes ses formes est l’une des causes des VCS. Les influences culturelles, l’honneur familial, l’idéal de la famille, les normes sociales et la culture du viol sont tous des éléments pouvant expliquer l’ampleur des VCS. Or, l’oppression envers les femmes, particulièrement les femmes de couleur, est à son paroxysme lors d’un moment de backlash.

De quoi vraiment s’alarmer.


Nous prenons un moment pour honorer la mémoire  victimes de violences à caractère sexuel, ces personnes qui sont infiniment plus que des headlines. Ce sont des individus accomplis, mais qui nous ont quitté des façons les plus viles. Nos pensées s’unissent à celles de leurs proches.


Toutes les violences à caractère sexuel (VCS) sont interreliées. C’est un vent noir dont l’origine s’ancre dans la misogynie et qui prend en ampleur au fil du temps, parallèlement à l’évolution de nos sociétés et conjointement avec l’ère technologique. Spécifiquement, nous parlons ici du phénomène digital en croissance à grande échelle qui normalise les VCS et les encourage : la manosphère.


La manosphère est un recoin sombre du net qui s’oppose au féminisme, le percevant comme beaucoup trop woke et une menace à la cohésion sociale. Cette section du web promeut des idéologies violentes envers les femmes visant à faire cesser leur autonomisation. Oui, le concept peut paraître délirant et dur à visualiser, mais songez aux « podcast bros » armés d’un micro et d’une caméra, qui débattent des heures durant sur pourquoi il faut se méfier de la femme moderne. Bien qu’il puisse paraître puéril, ce phénomène contribue considérablement à alimenter les idéologies misogynes chez les jeunes, et ce, à une vitesse éclair.


Un rapport de HOPE not hate 2020 révèle que de plus en plus de jeunes âgées de 16 à 24 ans pensent que le féminisme constitue un obstacle à la réussite des hommes, ce qui fortifie la corrélation entre la manosphère et la déshumanisation des femmes. De quoi alimenter plusieurs podcasts!


Un phénomène paradoxal

Ironiquement, la manosphère illustre tant le fruit du progrès technologique que la régression sociétale. Comment peut-on utiliser des innovations de l’ère postmoderne pour véhiculer impunément des discours rétrogrades?


En effet, les « podcast bros » ne reflètent que la pointe de l’iceberg et demeurent symptomatiques du vrai danger du monde numérique. À sa pointe la plus extrême, la manosphère facilite directement les VCS en les banalisant. Après tout, un des piliers de ce monde numérique, Tate, a été arrêté par la police roumaine faisant face à des allégations de trafic sexuel. En alimentant les discours sexistes en ligne, le rapport de domination sur les femmes se solidifie, ce qui perpétue la culture du viol, allant de la manipulation émotionnelle à la coercition physique. Le courant des Incels (phénomène du web lancé par des personnes qui considèrent les relations sexuelles comme un droit inaliénable) se manifeste par une misogynie aux propos violents et abusifs, ce qui donne lieu à des actes subordonnés aux VCS. Le corps de la femme est simultanément assujetti à l’objectification dans ces espaces : y avoir accès devient presque une prérogative.


C'est dans cette optique que des internautes, comme Dominique Pélicot, peuvent recruter des dizaines de personnes en ligne pour participer à des agressions sexuelles. Pour abuser de son ex-femme, Pélicot en a recruté... 72. Il est bon de rappeler que le consentement requiert qu’il soit manifeste, libre, éclairé, spécifique et continu. Bien que ces critères soient souvent jugés trop rigides dans la manosphère, ce sont les dispositions du Code criminel qui prévalent, et heureusement.


Dans sa finalité, la manosphère tue. À Toronto, en 2020, les services de sécurité désignent pour la première fois d’« activité terroriste » une attaque liée à l’idéologie incel. Un adolescent de 17 ans avait perpétré une agression dans un salon de massage, au cours de laquelle il avait poignardé à mort une femme et blessé deux autres personnes. En constatant ce climat abusif qui gagne les plus jeunes générations par l’entremise du net, on se rend compte du retard de l’encadrement juridique. Officiellement, le SCRS inscrit la manosphère dans les « extrémismes violents à caractère idéologique » et son activité constitue une infraction terroriste. Cependant, ce réseau virtuel répandu ne suit aucune structure ou planification dans ses activités et ses utilisateurs sont souvent anonymes, ce qui complique le travail du SCRS à l’ère numérique. De plus, comme énoncé dans la Loi sur le SCRS et conformément au droit à la liberté d’expression protégé par la Constitution, le Service ne peut qu’enquêter sur les auteurs de menace qui se mobilisent contre la violence. En d’autres mots, les interventions ne surviennent souvent que lorsque « le mal est fait ».


Cela souligne l’importance de sensibiliser la population aux dangers de la radicalisation et de contrer celle-ci en offrant des ressources de santé mentale et des groupes de soutien à ceux qui se sentent isolés ou en colère. Ouvrir des espaces de dialogue demeure une solution viable.


En plein dans un backlash

Dans son livre de 1991, Backlash: The undeclared War Against American Women, Susan Faludi crée le concept du «backlash », que l’on peut traduire comme étant le « retour du bâton ». Selon elle, une partie de la société réagit violemment en réaction au progrès des droits des femmes, mais aussi stratégiquement. Elle ajoute d’ailleurs que ce qui unit les femmes, c’est l’oppression. Aujourd’hui, il nous apparaît clair que nous sommes dans une période de backlash et que la stratégie en ligne à travers la manosphère est d’autant plus violente (1). Il suffit de regarder la réélection du président Donald Trump ou même la controverse autour du document Alpha si on cherche des illustrations de ce phénomène.


L’oppression dans toutes ses formes est l’une des causes des VCS. Les influences culturelles, l’honneur familial, l’idéal de la famille, les normes sociales et la culture du viol sont tous des éléments pouvant expliquer l’ampleur des VCS (2). Or, l’oppression envers les femmes, particulièrement les femmes de couleur, est à son paroxysme lors d’un moment de backlash. Le racisme et le sexisme sont des luttes qui sont indissociables. Au Canada, les personnes vivant dans des communautés rurales, les nouvelles arrivantes ainsi que les femmes racisées sont beaucoup plus à risque de subir des VCS selon un rapport de la ministre de la condition féminine (3). Quant à elles, environ 25% à 50% des femmes autochtones seraient victimes de VCS au Québec, et ce, avant même d’atteindre la majorité. Ainsi, pour mener une lutte contre ce backlash et contre l’oppression des femmes, il est nécessaire de questionner les biais de notre système judiciaire. Le travail de sensibilisation et d’éducation doit commencer au sein-même de nos institutions judiciaires, qu’il s’agisse de la police, de la magistrature et même des facultés d’enseignement en droit.


Depuis son avènement, le concept de backlash fait l’objet d’une évolution globalisée. Introduite au courant des années 90 dans un contexte américain, la notion de backlash anti-féministe laisse désormais sa marque à l’échelle mondiale, s’imposant comme un phénomène de régression globale des plus préoccupants. Exacerbé dans des pays tel l'Afghanistan, dont le bouleversant déclin des droits des femmes ne cesse de s’aggraver, le backlash frappe tout de même à notre porte, comme l’illustre l’alarmante menace pesant sur nos droits reproductifs.


Comment sommes-nous arrivés à un tel retour en arrière ?

Selon l’article Understanding Gender Backlash: Southern Perspectives de la revue IDS Bulletin, la nouvelle vague serait due à un amalgame de résurgence religieuse, d’essor de l’autoritarisme et d'hypernationalismes populistes, phénomènes dangereux pour nos démocraties. Par ailleurs, l’épisode actuel freinant le momentum des avancées féministes a ceci de particulier qu’il est indéniablement lié au rôle amplificateur et polarisateur des réseaux sociaux, permettant aux acteurs autrefois passifs de prendre activement part au mouvement réactionnaire.


Il nous incombe ainsi de lutter contre cette vague de backlash en pavant la voie vers l’épanouissement d’un féminisme intersectionnel, des combats indissociables de la sauvegarde d’une démocratie saine et exempte de démagogie politique et religieuse.

  1.  Molly Fischer, The real backlash never ended, The New Yorker (2022)

  2. Pennsylvania Coalition to Advance Respect, Oppression & Sexual Violence (2024), en ligne : https://pcar.org/about-sexual-violence/oppression-sexual-violence

  3. Service-Conseil aux centres désignés pour l’intervention médicosociale auprès des victimes d’agressions sexuelles, Personnes immigrées ou racisées et violences sexuelles au Québec, (2019), en ligne : https://www.serviceconseilqc.ca/personnes-immigrees-ou-racisees

  4. Image: https://ca.pinterest.com/pin/2181499811983264/

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