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La séduction : un crime mal défini?

Auteur·e·s

Lin Shan Zhong

Publié le :

14 février 2025

Selon Montesquieu, le juge est la bouche de la loi. Selon moi, le juriste est le bec de la clarification : il se doit d’éclaircir les incertitudes du droit.

Qui dit Saint-Valentin dit amour. Au 21e siècle, qui dit amour dit séduction. Au 17e siècle, qui disait SÉDUCTION disait CRIME. Le terme « séduction » ici fait référence au « rapt de séduction », un concept juridique utilisé en Nouvelle-France, et non à la simple séduction, soit l’acte de charmer, tel que nous la connaissons aujourd’hui. Pourquoi le rapt de séduction prête-t-il à confusion, tant pour les juristes d’autrefois que pour ceux d’aujourd’hui? Il vaut la peine de revisiter cette notion ambiguë en étudiant la Coutume de Paris, puisque, en tant que futur.es juristes , nous cherchons toujours à rendre ce qui est moins clair, plus clair, et ce qui est clair, encore plus clair.

De nos jours, bien que la loi soit la même pour tous, le degré des sanctions applicables est évalué par les juges et varie au cas par cas, créant ainsi une certaine subjectivité et incertitude.

L'ambiguïté sur la définition du rapt de séduction

Le juriste doit d’abord puiser à la source : la législation. Le rapt de séduction a été défini… et redéfini par la magistrature de la Nouvelle-France, laissant ainsi l’incertitude planer sur la définition même de ce terme.


L’Ordonnance de Blois, adoptée par Henri III en 1579, définit officiellement le rapt de séduction comme un crime qui se caractérise par l’enlèvement d’une jeune fille mineure séduite, dans le but de la marier, mais sans le consentement de ses parents. L’emploi du mot « enlèvement » est troublant. Notre premier réflexe serait de penser qu’il s’agit du sens littéral d’un kidnapping, qu’il s’agirait d’enlever une personne par force. Cependant, dans ce contexte, il s’agit plutôt d’un mariage clandestin, précisément lorsqu’un.e mineur.e est soustrait.e à l’autorité parentale. Un mariage pouvait être célébré sans le consentement des parents uniquement si les deux amants avaient atteint l'âge requis pour leur émancipation, soit à 30 ans pour les garçons et à 25 ans pour les filles. Sinon, le consentement parental était obligatoire : le seul accord des mineur.es en amour ne suffisait pas. Il ne faut pas oublier que l'espérance de vie, à l'époque, dépassait rarement les 40 ans ce qui contraignait l'enfant à demeurer sous l'autorité de ses parents tout au long de sa vie. À titre de comparaison, le droit québécois offre actuellement la possibilité à un jeune de s’émanciper à 16 ans et fixe l’âge de la majorité à 18 ans. L’Ordonnance de Blois visait donc à interdire ces unions clandestines en imposant la peine de mort aux coupables de rapt de séduction.


À partir du 17e siècle, l’introduction de la présomption de séduction bouleversa le système judiciaire de la Nouvelle-France. Dès lors, la victime n’avait plus nécessairement à prouver qu’elle s’était fait séduire. La procédure étant facilitée, cela incita plusieurs filles à déposer des plaintes, ce qui donna lieu à une multiplication des procès traitant du rapt de séduction. Des femmes étaient d'abord séduites par un homme qui leur avait promis le mariage et certaines tombaient enceintes — Élisabeth, Hélène, Jeanne-Geneviève, Louise, Louise-Catherine, Marie-Anne — pour être ensuite abandonnées. C’est la confusion, le chaos… Des accusés se retrouvaient condamnés pour un rapt de séduction alors qu’il ne s’agissait en réalité que de simples cas de séduction! Ce phénomène s’explique par le fait que les tribunaux confondaient séduction et rapt de séduction. Puisque la séduction était supposée, ils présumaient que le crime l'était également…


La Déclaration de Marly de 1730, qui reflète l’opinion de Louis XV sur la question du mariage, met fin à ce désordre. L’article 1 donne un cadre précis au rapt de séduction : il énonce explicitement que la simple séduction n’en fait pas partie et n’est pas sanctionnable. Les propos du monarque s’inscrivent dans une continuité visant à poursuivre le but recherché par le législateur de l’Ordonnance de Blois : renforcer l’autorité des parents sur les enfants. Dans sa déclaration, il est également question de sauvegarder l’honneur et la réputation des familles des victimes de rapt de séduction. D’ailleurs, le roi mentionne également la préservation de la liberté de mariage comme objectif recherché, mais omet de définir clairement ce concept... Et voilà! Encore un manque de clarté qui sème la confusion! Il existe un schéma récurrent qui subsiste, même dans le travail des juristes contemporains : lorsqu’on tente de définir un terme, on recourt souvent à d’autres expressions sophistiquées, elles-mêmes mal ou non définies, qui finissent par perdre toute substance... Une confusion résulte alors de cette communication maladroite. En fin de compte, le pire ennemi du juriste, c’est son propre bec.


L'ambiguïté sur la sanction du rapt de séduction

De nos jours, bien que la loi soit la même pour tous, le degré des sanctions applicables est évalué par les juges et varie au cas par cas, créant ainsi une certaine subjectivité et incertitude. En Nouvelle-France, la sanction liée au rapt de séduction était ambiguë parce qu’elle relevait aussi de l’arbitraire, laissant un large pouvoir d’appréciation au juge. Rappelons qu’au 17e siècle, les tribunaux étaient submergés par les procès de « faux » rapts de séduction, c’est-à-dire les cas de simple séduction. Pour un juge de Nouvelle-France, et pour la plupart d’entre nous, juristes dotés d’un esprit raisonnable, il est inimaginable d’imposer la peine de mort prévue par l’Ordonnance de Blois à une personne étant simplement rendue coupable de la séduction d'une jeune fille… Les juges avaient alors décidé d’offrir deux alternatives, l’une étant aussi contestable que l’autre.


La première option proposée par le juge à l’accusé afin d’éviter la peine de mort était de se remarier avec celle qu’il avait séduite sans avoir obtenu le consentement parental. Cependant, cette alternative contredit le but même de l’Ordonnance de Blois, qui visait à interdire ces mariages clandestins. La contradiction sacrifie la clarté et crée de la confusion. C’est une erreur que nous, en tant que juristes, devons éviter de reproduire : celle de nous contredire nous-mêmes. Nos mots influencent directement la compréhension du droit. Attention : il faut tourner sept fois notre langue dans notre bec avant de parler!


La jurisprudence révèle que l’autre choix consistait à verser une compensation financière à la victime. Il s’agit là d’une autre source de confusion : bien que le rapt de séduction soit qualifié comme un crime relevant de la matière criminelle, le déroulement des procès impliquant la simple séduction se rapprochait davantage de la procédure civile actuelle. Par exemple, Michel Lecours, qui avait séduit Marie-Anne Campeau avec une promesse de mariage et ensuite l’avait abandonnée durant sa grossesse (un cas de simple séduction et non de rapt de séduction) était tenu de lui octroyer 800 livres et de prendre en charge les frais liés à l'enfant né. Le problème constaté : le crime reproché relève du droit pénal, tandis que la sanction appliquée découle du droit civil.


L’ambiguïté de la position des juges relative à la sanction est particulièrement frappante lors d’une instance concernant un véritable cas de rapt de séduction, où les tribunaux n’avaient pas choisi d’appliquer la peine de mort prévue par la législation royale. Hertel de Rouville, un mineur, avait épousé Louise-Catherine André de Leigne à l’insu de leurs parents. Pourtant, seule la nullité de leur mariage avait été prononcée, une punition inutile puisque les deux amoureux s’étaient remariés lorsque de Rouville avait atteint sa majorité. À mon avis, cette décision revient à appliquer indirectement l’alternative du remariage, normalement réservée uniquement pour les cas de simple séduction.


La confusion qui tourne autour du rapt de séduction depuis l’époque de la Nouvelle-France nous enseigne une leçon cruciale sur la responsabilité du bec du juriste : clarifier les passages obscurs de la loi, et ce faisant, ne pas créer davantage de confusion!

  1. Josianne RICARD, « Les poursuites pour rapt de séduction en Nouvelle-France », (2013) 112 Cap-aux-Diamants, en ligne : < https://www.erudit.org/fr/revues/cd/2013-n112-cd0398/68219ac/ >, p. 13-16

  2. Gabrielle VICKERMANN-RIBÉMONT, « Séduction et droit royal. Une question juridique dans le Paysan parvenu de Marivaux », (2002) 34 Dix-huitième Siècle, en ligne : < https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_2002_num_34_1_2501#:~:text=Le%2022%20novembre%201730%2C%20Louis,catholique%20et%20le%20pouvoir%20royal. >, p. 440-441

  3. Éric WENZEL, « Les magistrats de Nouvelle-France et le rapt de séduction : juger en droit ou juger en conscience ? », (2020) 73 Revue d’histoire de l’Amérique française 3, p. 58-59, 65, 71-74, en ligne : < https://www.erudit.org/fr/revues/haf/2020-v73-n3-haf05359/1070109ar/ >

  4. Josianne RICARD, « Séduction et justice en Nouvelle-France », Université de Sherbrooke, en ligne : < https://seduction-justice.espaceweb.usherbrooke.ca/ >

  5. image: https://www.alamy.com/stock-image-full-length-groom-following-beautiful-bride-running-away-winter-forest-167517255.html?imageid=F09231F3-64F7-4B3A-AA6F-458BF7252B34&p=282846&pn=2&searchId=733617fd10fd7d8e3c3fabf763cedfeb&searchtype=11

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