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La masculinité toxique et l’importance des femmes dans l’éducation des hommes

Auteur·e·s

Justin Lamarche

Publié le :

29 novembre 2024

Nous vivons dans une société patriarcale dans laquelle les hommes et la masculinité sont vénérés et la féminité sous toutes ses formes est dévalorisée, traitée comme vulgaire et mineure. J’espère ici ne rien vous apprendre. Cette vision du monde, elle me dégoûte, elle me blesse, elle est la cause de souffrances innommables. Même pour les hommes, je soutiens que cela cause un mal-être profond. Si les manifestations de la masculinité ne sont pas mauvaises en soi, notre société fait place à un type spécifique de masculinité, une masculinité violente, cruelle, une virilité exacerbée, presque caricaturale. Bref, on parle ici d’une masculinité toxique. J’ai tenté de déconstruire ces standards sociétaux pour devenir, à mon sens, un homme meilleur. Je ne suis pas digne de me lancer dans de plus amples considérations théoriques sur cette question. Je peux, cependant, porter témoignage sur mon cheminement personnel, et plus particulièrement, exhiber le rôle que les femmes ont eus dans celui-ci.

« Je ne peux pas revenir sur ce qui s’est passé. Je ne peux pas excuser ce qui a été fait, mais ça ne me sert à rien d’être en colère. Il a déjà assez pris de mon énergie. ».

J’ai grandi dans une famille modeste des banlieues Nord de Montréal. Mon père était à l’époque travailleur de la construction. Il était dur, rigide et ne montrait pas ses émotions. Il devait subvenir seul aux besoins du foyer et cette pression lui donnait un tempérament particulièrement rude. Il était essentiel que son garçon soit comme lui, que je joue avec des camions, que je sois fort et violent. Pourtant, ce n’était pas ma personnalité. Le jeune Justin est un garçon sensible, doux et curieux. Je n’avais pas le droit de l’être avec mon père. Lorsqu’il me vient à y repenser, cette dénaturation de ma personnalité dès la petite enfance me causait une grande souffrance. Déjà, on m’inculquait un état d’esprit malsain, on m’obligeait à dénaturer ma personnalité, à ignorer mes sentiments. Heureusement, j’avais ma mère pour m’accompagner. C’est elle qui en premier m’a appris à m’exprimer, m’a donné les outils pour comprendre qui je suis et avec qui je suis accepté sans jugement. Avec mon père, il fallait que je joue avec un camion bleu. Avec ma mère, ça aurait bien pu être la plus rose des poupées que ça ne l’aurait pas dérangé. Encore aujourd’hui, c’est vers ma mère que je me tourne pour du réconfort. Mon père et moi nous sommes réconciliés, et lui-même a depuis beaucoup cheminé, mais il reste que j’ai des blessures de cette enfance perdue et celles-ci ne vont jamais complètement cicatriser.


Avec le temps, comme tout enfant, j’ai grandi et je suis devenu adolescent. À cette époque, nous vivions à Rivière-des-Prairies dans une maison multigénérationnelle avec mes grands-parents. Je passais au travers de la période difficile durant laquelle on explore notre identité. J’avais honte de moi-même, je détestais l’Univers, je côtoyais des personnages douteux et, par-dessus le marché, je n’acceptais pas d’être un fag. Je projetais énormément ma douleur et j’avais des pensées que je reconnais comme cruelles. Durant cette étape cruciale de ma vie, c’est ma grand-mère qui m’a guidé vers la bonne voie. Militante féministe depuis sa jeunesse, dirigeante syndicale pendant 20 ans et véritable matriarche de notre famille, elle a su m’apprendre à m’accepter et à porter sur le monde un regard sans haine. Je n’ai jamais connu une personne plus ouverte qu’elle, elle savait écouter mieux que quiconque et nous confronter dans nos idées. Elle m’a fait lire de nombreux livres, elle a pris le temps de déconstruire petit à petit certains acquis que j’avais. Le monde dans lequel nous vivons peut sembler froid et individualiste. Elle m’a appris que c’est donc notre devoir de faire du bien autour de nous, d’aller à l’encontre des autres et d’être le vecteur du changement que l’on souhaite voir. Elle m’a appris que l’homme fort est celui qui est sensible, que l’homme bon est celui qui est à l’écoute de lui-même et des autres. À une époque où je broyais du noir et je m’enfonçais dans ma haine des autres, elle est intervenue et m’a sorti du gouffre.


Plus récemment, j’ai poursuivi le développement de ma pensée critique. J’ai lu nombre d’ouvrages sur les théories féministes, je me suis engagé dans des causes sociales, je tente de vivre selon mes valeurs et non celles imposées par la société, je tente d’être le meilleur allié que je puisse être, de m’accepter et d’accepter les autres sans égard à leur identité. Pourtant, un grand enjeu persiste. J’entretiens une colère pour les modèles masculins qui m’ont causé de la souffrance. Je pense en particulier à mon père, mais également à ceux qui m’ont fait du mal dans mon enfance, mon adolescence et ma vie d’adulte. Ici, c’est mon arrière-grand-mère qui m’a aidé. Voyez-vous, elle a passé sa vie avec un homme qu’elle n’aimait pas. Ce n’est qu’à 80 ans qu’elle a finalement divorcé par une décision spontanée dont personne ne s’attendait. Nous nous échangeons depuis une correspondance de lettres, et il m’est venu le besoin, il y a quelques mois, de lui demander si elle entretenait toujours une colère pour cet homme qui l’avait gardé en prison toute sa vie. Sa réponse m’a fait réfléchir : « Je ne peux pas revenir sur ce qui s’est passé. Je ne peux pas excuser ce qui a été fait, mais ça ne me sert à rien d’être en colère. Il a déjà assez pris de mon énergie. ». Ça peut sembler simple, mais c’est ce que j’avais besoin d’entendre. Souvent, je trouve difficile de réconcilier le père que mes petits frères ont eu, un père doux, aimant, présent, avec le père émotionnellement absent que j’ai eu. Reste que cette perspective de mon aïeule m’aide à lâcher prise, à aller de l’avant avec les personnes qui en valent la peine et à laisser couler certaines meurtrissures de mon passé.


C’est là où j’en suis à présent. J’ai eu maints autres guides dans ma vie qui m’ont aidé à devenir la personne que je suis, à déconstruire la pensée masculiniste que notre société imprègne dans les garçons et les hommes. J’en aurai certainement d’autres. Je suis persuadé que ce sont les femmes de ma vie qui m’ont le plus aidé à devenir un homme meilleur, en particulier ces trois générations de femmes de ma famille. Ce seront certainement les femmes qui vont continuer à être le vecteur principal de mon changement, et je reste persuadé que c’est par la réconciliation du féminisme avec les hommes qu’on atteindra une égalité pleine et totale entre les sexes.

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