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Help the Helpers : un exposé et une critique du système des foreign domestic helpers à Hong Kong

Auteur·e·s

Angel Sun-Veilleux

Publié le :

29 novembre 2024

Pour cette édition du Pigeon dissident sous le thème de « Pigeonne dissidente », laissez-moi vous raconter une histoire. Et comme c’est moi qui la raconte, spoiler, cette histoire va se solder par une morale et une critique en cinq paragraphes. D’abord, commençons avec un simple exposé.

Le corps du courriel vantait : « les billets aller simple pour Manille et Clark sont disponibles à partir de 68 HKD, c’est le moment idéal pour réserver des vols pour les vacances de vos femmes de ménage!. »

Fin août 2024, Hong Kong. Nous sommes dimanche matin et déjà, il règne une chaleur opaque. Malgré cela, je suis déterminée à explorer cette ville qui sera mienne pour les quatre prochains mois. Tiguidou, dans le MTR en direction de la grande ville. Hong Kong est un mégastodonte, les gratte-ciels ne semblent jamais terminer. Parsemées un peu partout dans les rues, dans les squares, devant des vitrines, des femmes sont assises sur de grands morceaux de carton. Agglomérées, elles placotent, elles échangent des collations, elles chantent du karaoké et elles se font des mani-pedis. Elles ne quêtent pas un sous et lancent à peine un regard aux passant.e.s. Mais qui sont-elles ?


Elles sont l’envers des cartes postales. Celles qui permettent aux hommes d’affaires effarés de travailler. Celles qui permettent aux enfants hongkongais.es d’avoir des horaires de temps aussi chargés. Elles ont plusieurs appellations : foreign domestic helpers, housekeepers, ou tout simplement helpers ou aides-ménagères. Ce titre réfère à une femme qui occupe un poste mixte de nannie, de femme de ménage et de cuisinière, qui vient souvent des Philippines, de la Thaïlande, de l’Indonésie ou d’à peu près tous les pays de l’Asie du Sud-Est.



En effet, la normalisation des aides-ménagères a été l’un de mes premiers constats lorsque je suis arrivée à Hong Kong et j’étais un peu choquée par cette pratique. Elle existe aussi chez nous, mais dans une bien moindre mesure. À Hong Kong, cette pratique reste accessible pour les personnes de classe moyenne. Hong Kong est un hub financier capitaliste agressif. Le mode de vie caractérisé par sa vitesse et son efficacité a créé un besoin de déléguer des tâches quotidiennes à une main d'œuvre abordable, ce qui nous mène au système bien rodé et normalisé de helpers. En août 2024, on dénombrait 363,576 helpers. Elles font tout simplement partie des réalités acceptées de Hong Kong, comme les avertissements de typhons et les gouttes d’eau d’airclim défectueuses qui te tombent dessus en ville. Elles ne sont pas seulement individuellement présentes, mais représentent aussi une collectivité. Le mois de mai est le mois d’appréciation des helpers. Récemment, j’ai reçu une publicité par courriel de Hong Kong Express, la compagnie aérienne de Hong Kong, qui annonçait sa promotion « des visites de domicile ». Le corps du courriel vantait : « les billets aller simple pour Manille et Clark sont disponibles à partir de 68 HKD, c’est le moment idéal pour réserver des vols pour les vacances de vos femmes de ménage!. » [traduction libre] I wish I was kidding.


Avec le temps et une bonne dose de littérature féministe, j’ai développé l’instinct de ne jamais croire que « si c’est normalisé, c’est correct ». Je voulais donc justement gratter plus loin.


Le seul fait que ces femmes viennent travailler dans un pays étranger, seules, sans système de support, dans une autre langue fait sonner une alarme quant aux possibilités de maltraitance et d’abus. En habitant avec leurs familles hôtes et en n’ayant qu’une journée de congé par semaine, le brouillement de la frontière entre travail et maison, apparu pour nous pendant la pandémie, est quelque chose qu’elles connaissent depuis longtemps. La nature même de leur travail fait en sorte que les heures sont irrégulières et qu’il est difficile de prendre des jours de congé.


D’un point de vue plus philosophique, ce travail est extrêmement aliénant. En effet, ces femmes quittent leur propre famille pour aller vivre dans une autre, souvent attendant pendant plusieurs années avant de pouvoir retourner visiter la leur. Certes, Internet permet de garder un semblant de lien, mais il se fragilise nécessairement et mène paradoxalement à son sacrifice au profit du travail. Même en gardant en tête qu’elles ne sont que des employées, la création d’une connexion plus profonde que celle présente dans un simple boulot peut se créer avec la famille de l’employeur.euse, surtout dans les cas qui incluent la prise en charge d’enfants. Dans une étude, la chercheuse et professeure Vicky C.W Tam note que  « [les mères] veulent que les aides-ménagères soient comme des substituts maternels, mais, d’un autre côté, sans que les aides-ménagères ne les éclipsent [traduction libre] ». Ce travail requiert donc à la fois un dévouement physique et émotionnel, et crée un statut de membre de la famille… mais pas vraiment.


Le cadre légal présent à Hong Kong peine à compenser ces failles. Les quelques protections judiciaires qui leurs sont accordées restent souvent méconnues, à cause d’un grand problème d’accès à la justice pour ces travailleuses. Même lorsque les helpers sont au courant du bafouement de leurs droits, très souvent, elles vont hésiter et avoir peur de rapporter leur cas aux autorités compétentes. Notamment en raison d’une règle qui prévoit qu’elles ont 14 jours pour quitter le pays si leur contrat de travail est échu.


Avec le temps, la création de plusieurs ONG à Hong Kong pour les aider, ainsi que l’essor d’une médiatisation des cas d’extrême abus, ont conscientisé la population à ces problèmes. Également, leur présence hebdomadaire dans l'espace public et leurs solutions pour se créer une communauté agit de rappel qu’elles existent.

Finalement, un cercle vicieux apparaît avec le système des helpers. Leur présence aide les hongkongaises, ou les nombreuses expatriées présentes à Hong Kong, à diminuer leur charge de travail à la maison et à rentrer sur le marché du travail, créant ainsi plus d’incitatif à ce que d’autres familles recourent à ce système. Au premier abord, et selon le point de vue des féministes de deuxième vague, ce serait un gain. Mais en réalité, le simple fait de déléguer ces tâches domestiques à d’autres femmes solidifie la séparation genrée de ces tâches. Pourquoi avoir des discussions difficiles et remettre en question la séparation des tâches inégales au sein d’un couple si on peut simplement retirer ces tâches en entier? Même dans la gestion des aides-ménagères, ce sont plus souvent les femmes qui s’en occupent, signe que le domaine du domicile familial et du care reste une responsabilité qui revient à la femme.


Pour conclure, malgré le fait que les helpers sont omniprésentes à Hong Kong et que leur travail est essentiel, il reste encore beaucoup de travail à faire pour mettre en place des cadres juridiques adéquats pour ces femmes. Dans une perspective plus large, ces enjeux montrent à quel point le domaine du care reste encore une sphère particulièrement féminine et dévalorisée.


P.-S. - Si vous voulez une suggestion de média qui illustre bien la vie de Hong Kong et des helpers, je recommande chaudement le livre The Expatriates de Janice Y.K Lee, aussi disponible en tant que série télévision sur Prime Video sous le nom de The Expats.

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