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Hégémonie anglophone d’ici et d’ailleurs : derrière le paravent de l’anglais à Hong Kong
Auteur·e·s
Angel Sun-Veilleux
Publié le :
29 octobre 2024
En tant que Québécoise, sans grande surprise, je suis une fan de ma langue, ce français que je parle dans tout son bilinguisme et ses régionalismes. Par contre, en échange à Hong Kong, j’ai dû quelque peu le délaisser pour plutôt adopter l’anglais, puisque je ne parle pas cantonais et que mon mandarin est politiquement chargé.
J’entends même un “Why aren’t they talking in English” sortir des étudiant.es internationaux.les.
Background historique
L’anglais est particulièrement présent et utilisé à Hong Kong et à Singapour, surtout comparés aux autres pays de l’Asie environnante. Ces deux endroits ont été des colonies britanniques, ce qui explique en partie l’omniprésence de l’anglais. Malgré cela, c’est le cantonais qui reste la langue principalement parlée à Hong Kong, apparaissant suite à l’immigration en masse des Chinois de la province de Canton. Ce n’est que lors de la Rétrocession de 1997 que Hong Kong a officiellement commencé à faire partie de la Chine en tant que région administrative spéciale. Avec ce statut, Hong Kong peut, entre autres, garder son cantonais, son système légal de common law, son libéralisme économique… Un livre d’histoire et des traités entre grandes puissances, c’est bien beau, mais qu’en est-il du point de vue des gens affectés ? J’ai donc parlé de langues avec mes sociologues de terrain préférés, soit un barman et un conducteur de taxi. Sans grande surprise, ils me donnèrent un topo des sentiments actuels, que je vous résume ici.
Hong Kong s'est fait coloniser par les Britanniques et est actuellement en train de se faire néocoloniser par la Chine. Par contre, les valeurs qui sont résolument hongkongaises et qui ont été farouchement défendues lors de contestations monstres par la population sont des valeurs de démocratie et de respect à l’égard de l’état de droit, des valeurs qui leurs sont venues des Britanniques. Donc, pour la majorité des Hongkongais.es, le peuple anglais est le lesser of two evils, ce qui se traduit linguistiquement par : il y a moins d’amertume lors de l’obligation d’utiliser l’anglais que le mandarin. Également, l’anglais symbolise l’ouverture au monde, alors que le mandarin symbolise l’assimilation chinoise.
En effet, depuis la Rétrocession de 1997, en conformité avec la politique interne de gestion chinoise, les efforts de Beijing pour accoster Hong Kong au restant de la Chine sont multiples et calculés, profitant entre autres des failles légales et des termes propices à interprétation laissés dans les traités par les Anglais. Les Hongkongais.es doivent notamment apprendre le mandarin à l’école et les facultés de droit enseignent obligatoirement le droit civil de la Chine, même si celui-ci ne s’applique pas directement à Hong Kong. Également, avec l'afflux de touristes chinois.es ou de Chinois.es qui s’établissent à Hong Kong sans parler anglais, les Hongkongais.es sont de plus en plus obligé.es de parler mandarin. Les attaques sur le cantonais viennent de paire avec des attaques sur les valeurs de Hong Kong, de son autonomie et de son essence.
L’anglais dans la sphère publique et à l’université
Malgré tout, ce n’est pas tout le monde qui parle l’anglais avec aisance, surtout chez les moins jeunes. Quand je vais au restaurant, la possibilité que je me fasse servir en anglais ou dans un mélange de pointage d’images et de mimes est encore 50/50. À l’université, les cours se font en anglais, mais, dans les couloirs, le cantonais reste quand même la langue d’usage. Malgré les nombreux étudiant.es internationaux et en échange, nous restons quand même en minorité. Par contre, j’ai rapidement observé qu’on a tendance à monopoliser les conversations en classe. Je théorise que c’est dû à un mélange de personnalités, les Chinois.es ayant tendance à être plus timides. Également, cela pourrait être une question de maîtrise de la langue, notre anglais étant souvent maîtrisé avec aise, ponctué d’accents (anglais, allemands, scandinaves, français ou américain, catégorie dans lequel on place le mien) considérés comme étant glamour et enviables. Également, bien sûr, les profs veulent souvent entendre le point de vue des étudiant.es en échange et la perception qu’ils ont de Hong Kong. Dans le contexte des cours de droit, un “in my country, we have a law that…” est souvent assez encouragé et apprécié. Vive le débat enrichi avec plusieurs perspectives différentes. Par contre, au fil des semaines, il semble qu’un mutisme s’est carrément inséré auprès des élèves chinois.es et hongkongais.es. Même lorsque les professeurs les interpellent directement (en mode : on sort la liste de classe avec les noms!), c’est difficile. Le débat perd de sa richesse et commence à ressembler à l’ONU, avec des États membres plus présents que d’autres. L’anecdote commence donc là, dans cette énergie particulière qui caractérise nos cours.
Derrière le paravent
Dans l’un de mes cours, qui est sur la nourriture et la culture (bonjour à mon seul cours à option de mon bac), on a reçu un invité. C’est un fermier et activiste local qui vient nous parler du rôle historique de l’agriculture à Hong Kong, nous sensibiliser à propos de la nourriture et des aliments de Hong Kong et de son expérience en tant que fermier dans une ferme bio. Fascinant personnage. Il utilisait souvent des référents locaux que les étudiant.es en échange peinaient à comprendre ou des expressions en cantonais que l’on ne comprenait pas. Il posait aussi des questions très spécifiques sur Hong Kong auxquelles les habituel.les étudiant.es internationaux.les ne pouvaient pas répondre. Face au mutisme des étudiant.es qui savent la réponse, mais ne sont pas habitué.es à répondre aux questions en classe, il continuait et répétait la question en cantonais. Et c’est là que les langues se sont déliées! Le conférencier traduisait en anglais pour que l’on comprenne et continuait. Éventuellement, un étudiant répond à une telle interpellation en cantonais et se met à rire, entraînant toute la classe (presque) dans un fou rire. Spoiler : la joke c’était qu’à un moment, la plus grande industrie d’un quartier de Hong Kong était l’exportation de marde pour les fermes. Avec du recul, c’est vraiment pas si drôle, mais c’est quand même chiant (jeu de mots terrible) de se sentir exclu de la blague. J’entends même un “Why aren’t they talking in English” sortir des étudiant.es internationaux.les.
Immédiatement, j’ai un sentiment de déjà-vu. Un sens de entitlement qui m’est si familier. Speak White anybody ? Ça me rappelle le classique débat du “T’au Québec icitte, c’est en français que ça s’passe !” suivi du “Yes but Quebec is in Canada !” (souvent, suivi d’un rappel des référendums ratés). De ces conversations, personne ne s’en tire gagnant, sauf peut-être la Constitution canadienne et son bilinguisme enchâssé.
D’un côté, je vois la confusion des étudiant.es internationaux.les qui viennent de se faire exclure. Il faut voir la manière dont Hong Kong est présentée : Un paradis pour les expats ! Une porte d’entrée pour vous permettre de goûter à l’Asie de manière approchable ! Tout le monde parle anglais (presque, genre, dépendamment de votre quartier) ! On a tout ce que vous aimez chez vous, mais encore plus ! Woohoo !
Et j’y adhère ! Sans gêne, j’admets que ça a joué un grand rôle dans les raisons pour lesquelles j’ai choisi Hong Kong comme destination d’échange. Et je crois que ce qui est dit reste assez vrai : Hong Kong EST un mélange de l’Occident et de l’Asie. C’est le parfait endroit pour être confus et dépaysé, mais avec d'autre monde qui le sont aussi. Reste que je suis au bout du monde en ce moment. Je ne devrais pas tout le temps être confortable et me sentir incluse, mais, hélas, certain.es l’oublient. En plus, maintenant que ça fait 2 mois qu’on est ici, on commence finalement à se sentir un peu plus à l’aise, avec quelques repères qui se sont créés. Je peux maintenant affirmer que Mong Kok, c’est le meilleur quartier de Hong Kong, que le 7/11 c’est le meilleur spot pour predrink et que les meilleures plages de Hong Kong ne sont pas à Hong Kong ! Je peux même utiliser la ligne des résident.es au lieu des visiteur.ses à l’aéroport ! Mais, malgré ma prise d’aisance rassurante, je n’oublie jamais que je suis en incursion. Je n’appartiens pas vraiment à la ville. Et c’est correct. J’essaie de lui témoigner autant de respect et de curiosité que possible. Et ça inclut de ne jamais penser que tout le monde devrait parler anglais. Il faut être réaliste : parler anglais à Hong Kong, c’est une façon de faciliter la vie aux étrangers qui sont vitaux à la ville. Ou de faciliter le départ et l’ouverture à l’internationale des Hongkongais.es. Toutefois, reste que ce n’est pas la langue du cœur et de l’âme de la ville, même si c’est celle des cours d’université. Lorsque les étudiant.es locaux.les ne sont plus obligé.es de parler anglais, iels se sentent moins aliéné.es, plus à l'aise et peuvent se permettre de partager plus, même si c’est au détriment de quelques minutes de notre confort. Ce n’est pas de nos affaires d’imposer le monopole de l’anglais et le cantonais a sa place ici. Le cantonais, c’est une forme de résistance, à la base d’une société distincte culturellement et politiquement… un discours qui a de quoi raviver ma nostalgie québécoise.
Vous avez votre cantonais, j’ai mon français et on se rejoindra en anglais, sans y rester.