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Entrevue avec le juge en chef adjoint de la Cour supérieure du Québec, l’honorable Jean-François Michaud

Auteur·e·s

Danny Al-Mashhoor

Publié le :

5 février 2025

La thématique de cette édition porte sur l’expression les « becs ». Cela rappelle l’expression française « se défendre bec et ongles ». Cette entrevue avec le juge en chef adjoint traite de la transition de la profession d’avocat vers l’intégration de la magistrature, notamment sous le prisme des valeurs défendues « bec et ongles » au sein de l’instance judiciaire.

« L’indépendance des tribunaux et des juges est une valeur FON-DA-MENTALE dans notre société. Sans tribunaux indépendants respectés, la société est exposée au chaos, et ce, au détriment de la démocratie. »

Biographie :

Le juge en chef adjoint Jean-François Michaud a obtenu un baccalauréat en droit de l’Université de Montréal en 1988. Il a pratiqué le droit, à titre d’associé, dans les cabinets Lavery, de Billy et Norton Rose Fulbright. Ses principaux champs de pratique étaient le litige entre actionnaires, la responsabilité professionnelle, le droit des assurances et le droit de la construction.


En 2013, l’honorable Jean-François Michaud a été nommé juge à la Cour supérieure du Québec. Actuellement, il exerce la fonction de juge en chef adjoint et il siège sur le Comité sur la formation des juges relevant du Conseil canadien de la magistrature (ci-après, le « Conseil »).


Le Conseil a notamment pour mission d’améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures (1). Sur le site du Conseil figure l’ouvrage nommé Principes de déontologie judiciaire expliquant et illustrant les principes déontologiques concernant les juges de nomination fédérale tels que les juges de la Cour supérieure du Québec (2). Le Comité sur la formation des juges a notamment pour mandat de veiller à ce que les juges de nomination fédérale aient accès à de la formation et du perfectionnement continu de haute qualité (3).


Entrevue :

Passage d’avocat à juge :

En ouverture d’entrevue, le juge en chef adjoint explique les principales distinctions entre le métier d’avocat et celui de juge : « La différence fondamentale c’est peut-être le prisme avec lequel on regarde notre travail. L’avocat a un devoir de conseil envers ses clients. Oui, il a un devoir de collaborer et soutenir l’administration de la justice, mais le prisme n’est pas le même que celui d’un juge. Le rôle du juge est de s’assurer que justice est rendue de manière équitable et dans le respect des droits des parties. »


Le juge Michaud souligne qu’en devenant juge, la charge de travail ne diminue pas. Cependant, une différence notable avec le métier d’avocat concerne l’environnement de travail :


« Quand on est avocat, on doit être disponible pour ses clients. On doit être disponible pour ses associés. Cela fait en sorte qu’on est très sollicité. On a beaucoup d’interactions avec diverses parties prenantes, par exemple le Barreau, les associés, les clients, en plus de se consacrer sur le développement d’affaires. Donc, comme avocat, on œuvre dans un environnement très éclaté où on rencontre beaucoup de monde. »


Également, le juge en chef adjoint précise que l’intégration d’un nouveau juge à la magistrature est marquée par une diminution de son réseau de contacts  : « Comme juge, tous les éléments extérieurs disparaissent. On se retrouve dans une bulle assez isolée parce qu’on n’a plus vraiment de contact avec l’extérieur. Quand je dis ça, on ne vit pas dans un monastère. Ça veut dire qu’on coupe nécessairement des liens avec différents organismes et associations en raison de notre devoir de réserve et de la nécessité d’agir de manière impartiale et indépendante. Donc, on ne peut pas entretenir, comme juge, des relations ou un réseau trop large, parce que cela est susceptible de créer des conflits d’intérêts ou des apparences de partialité. »


À titre illustratif, le juge en chef adjoint énumère quelques exemples de volets de la  pratique du droit qui sont évacués une fois qu’une personne devient juge : « On a moins de distractions. On n’a plus de courriels de l’extérieur, de feuilles de temps, d’administration de bureau, de facturation auprès de clients ni de développement de clientèle. »


Rôle du juge en chef adjoint :

L’administration de la justice est un champ de compétence qui relève des provinces (4). Au Québec, c’est la Loi sur les tribunaux judiciaires (5) qui prévoit l’organisation de la Cour supérieure. L’honorable Jean-François Michaud explique sa responsabilité ainsi :


« Comme juge en chef adjoint, j’ai la responsabilité d’environ 130 juges. Mon rôle principal c’est de voir aux opérations de la Cour pour ces derniers. Je dois voir à ce que les juges aient une charge de travail qui soit répartie le plus équitablement possible. Je dois voir aussi à la formation de ces derniers. Je dois m’assurer qu’ils suivent dix jours de formation. »


Parmi ses autres rôles, le juge en chef adjoint travaille avec les juges coordonnateurs des districts judiciaires de la Cour supérieure. En effet, quatre fois par année, il se réunit avec ces derniers dans le but de discuter des défis de la Cour et d’identifier des solutions à mettre en place.


Par ailleurs, le juge en chef adjoint participe à des rencontres avec des représentants du ministère de la Justice du Québec pour discuter des divers défis au niveau des ressources humaines et matérielles ayant un impact sur la Cour. De plus, le juge en chef adjoint s’implique dans la gestion de dossiers plus complexes.


Globalement, le travail du juge en chef adjoint peut se décliner en quatre vitesses. Premièrement, il s’agit de gérer les urgences du jour. Par exemple, trouver un collègue qui est disponible pour entendre une cause urgente. Deuxièmement, à court terme, il s’agit de voir aux activités des comités de travail de la Cour qui ont été constitués pour faire avancer les chantiers prioritaires tels qu’identifiés dans le Plan stratégique 2024-2029 (6). Troisièmement, à moyen terme, il s’agit de préparer les formations données plus tard dans l’année. Quatrièmement, à long terme, il s’agit, par exemple, de planifier l’assemblée générale d’octobre 2025 et de voir aux assignations des juges pour l’année 2025-2026.


Valeurs défendues :

Pour le juge Michaud, l’une des valeurs très importantes à la Cour est l’impartialité :

« Pour moi, si une personne quitte la Cour en disant : "Je n’ai peut-être pas gagné, mais au moins, j’ai été écoutée par un ou une juge impartial.e". Pour moi, on réussit. On fait notre travail. »


Par ailleurs, l’honorable Jean-François Michaud soutient que l’écoute, l’empathie, la bienveillance, l’accessibilité au système de justice et la gestion efficace d’une salle de cour avec des juges compétents sont d’autres valeurs importantes.


« C’est important, particulièrement dans ma chaise comme juge en chef adjoint, d’être ouvert et innovateur. Donc, à partir des ressources que nous avons : "Qu’est-ce qu’on peut faire pour améliorer et simplifier nos façons de faire?" », affirme-t-il.

Il partage aussi une réflexion : « On réalise assez rapidement qu’il ne faut jamais perdre de vue, que le citoyen qui se présente devant les tribunaux vit une expérience qui est généralement difficile, puisque les gens apportent avec eux un problème qui les habite souvent depuis longtemps. Donc, c'est important de les accueillir avec respect et bienveillance pour trouver une solution qui va leur permettre d'évoluer et de mettre ça derrière eux. »


D’ailleurs, il insiste particulièrement sur l’indépendance judiciaire comme une valeur à défendre : « L’indépendance des tribunaux et des juges est une valeur FON-DA-MENTALE dans notre société. Sans tribunaux indépendants respectés, la société est exposée au chaos, et ce, au détriment de la démocratie.


Plus la démocratie est forte, plus les tribunaux sont forts. L’inverse est vrai : plus les tribunaux sont faibles, plus la démocratie sera faible. Alors, l’indépendance des tribunaux est très importante. Ce n’est pas pour protéger le statut de juge que je dis cela. On constate particulièrement quand on est juge que si nos décisions n’ont plus d’autorité morale, à ce moment-là, c’est l’anarchie, c’est la démocratie qui s’effrite. Si les gens désertent les tribunaux, et bien, à ce moment-là, c’est la loi du plus fort. Puis, ce n’est pas une société dans laquelle on veut évoluer. »


Intégration à la Cour :

En ce qui a trait à l’intégration des nouveaux juges à la Cour supérieure, le juge en chef insiste sur la dynamique collégiale qui s’y trouve : « Il y a une très forte collégialité à la Cour supérieure. Ça s’explique par la nature du travail. On se retrouve à travailler essentiellement entre nous comme collègues. On gagne tous le même salaire, nous sommes tous au même niveau. Il n’y a pas de hiérarchie. Comme juge en chef adjoint, je n’ai pas d’autorité sur mes collègues, sauf administrativement. »


Partageant son expérience personnelle, le juge en chef adjoint se la remémore : « Quand je suis arrivé, je l’ai constaté sur le champ. J’ai été accueilli avec beaucoup de chaleur et d’encouragements par mes nouveaux collègues. »


Certaines mesures sont mises en place pour faciliter l’intégration des nouveaux juges, notamment le programme « parrain-marraine ». À ce sujet, l’honorable Jean-François Michaud explique : « Tout nouveau juge qui arrive à la Cour se fait désigner un parrain ou une marraine qui va l’aider à s’intégrer et à apprendre son métier en répondant à des questions très simples. Mais, il ou elle va aussi échanger sur des questions que le juge a entendues. Il ou elle va même aider et donner des trucs sur la rédaction de jugements. »


La marraine du juge en chef adjoint a été l’honorable Claudine Roy, actuellement juge à la retraite : « Claudine Roy a été ma marraine. Je l’ai beaucoup aimée. Elle m’a donné de très bons conseils. C’était une juriste qui avait une excellente compréhension du droit substantif et c’était quelqu’un avec qui je pouvais échanger. C’était une juge avec un bon jugement. »


En ce qui a trait à la rédaction de jugements, le juge Michaud se rappelle l’un des conseils de sa marraine : « Quand je suis arrivé, elle m’a assez rapidement sensibilisé sur l’importance de ne pas répéter des faits qui ont déjà été mentionnés et de les placer au bon endroit. Ça apporte une rédaction efficace. »


Formation :

Le juge en chef adjoint explique que les juges fédéraux, incluant ceux de la Cour supérieure, doivent suivre un équivalent de dix journées de formation par année pouvant porter, par exemple sur : l’habileté de rendre jugement séance tenante, la gestion des dossiers, le droit criminel, le droit de la famille et ses aspects psychologiques, etc.


De plus, à la Cour supérieure, les nouveaux juges sont rencontrés par deux collègues qui leur donnent une formation d’accueil. Elle a pour visée d’initier le juge sur les façons de faire à la Cour dans le but de faciliter l’exercice de son nouveau métier.


Défis :

Durant l’entrevue, le juge en chef adjoint partage certains défis avec lesquels la Cour doit composer : « Un des défis au niveau du juge c’est qu’il ne contrôle pas les ressources à sa disposition. Présentement, on vit un manque de ressources. En raison d’un roulement de personnel, il y a une perte d’expertise qui se fait sentir au niveau de l’administration des tribunaux. Ça crée évidemment un impact sur le travail du juge. »


D’ailleurs, il explique que certains éléments ne relèvent pas du contrôle des juges : « Les juges ne peuvent pas décider d’augmenter le salaire des adjointes et des greffiers, ce qui limite leur capacité à attirer du personnel supplémentaire et renforcer les équipes actuelles. »


Discussion sur la vérité judiciaire :

Durant l’entrevue, la valeur de l’efficacité a été évoquée à quelques reprises. Le juge Michaud affirme que : « Le travail de juge est celui où l’efficacité est récompensée. Plus un juge est efficace, plus il sera en contrôle de ses affaires, plus il sera serein dans l’exercice de ses fonctions. Donc, pour moi, l’efficacité est une valeur importante, mais pas au détriment de la qualité. »


En effet, l’efficacité, dans un contexte judiciaire, amène à conduire l’instance judiciaire en tenant compte des limites des ressources judiciaires. De passage, l’entrevue a porté sur la réforme du Code de procédure civile (7) du Québec de 2016 et les principes directeurs de l’instance, notamment l’article 17 codifiant le principe du débat contradictoire et l’article 18 codifiant le principe de la proportionnalité.

S’exprimant au sujet des principes directeurs du Code de procédure civile du Québec, le juge en chef adjoint affirme : « Les principes sont magnifiques. Le défi c’est que les avocats les suivent. C’est ça le défi pour nous. »


Faisant suite à l’échange sur la recherche de la vérité dans le système judiciaire, le juge en chef adjoint partage : « Il y a un arrêt que je ne perds jamais de vue, l’arrêt Hryniak (8) de la Cour suprême sur la recherche de la vérité qui n’est pas un absolu.


Malheureusement, les avocats ne connaissent pas assez bien cette décision. Pour moi, c’est un guide. Le juge Frédéric Bachand, maintenant à la Cour d’appel du Québec, a écrit un très bel article (9) sur Hryniak alors qu’il était avocat, expliquant que la recherche de la vérité, dans notre système, n’est pas une fin en soi, surtout lorsque notre fardeau de preuve est la balance des probabilités, soit 51 %. Ça ne peut pas être une recherche à 100 %. »


Pour nuancer ses propos, le juge en chef adjoint spécifie : « Enfin, c’est le travail des avocats de défendre du mieux possible leurs clients, mais il faut le faire avec les ressources disponibles. Et, les ressources disponibles sont clairement limitées. »

À titre d’exemple, le juge en chef adjoint chiffre une réalité pour illustrer de quelle manière les ressources, dans le système judiciaire, sont limitées : « Au total, à la Cour supérieure, nous sommes environ 194 juges. Chaque année, il s’ouvre 50 000 dossiers, toutes juridictions confondues. Évidemment, ce ne sont pas les 50 000 qui sont actifs, mais avec environ 190 juges, on ne peut pas se permettre d’y consacrer nos ressources sans compter. Si on faisait cela, comme parfois les gens le souhaitent, et bien, nos délais seraient interminables, déjà qu’ils sont très longs. »


Mot de clôture :

Pour conclure l’entrevue, le juge en chef adjoint partage une perspective à l’intention  des personnes étudiantes en droit : « Le droit permet de bien comprendre le rôle des avocats et des juges dans la société. J’espère que ceux qui s’investissent dans une carrière en droit vont continuer de contribuer à un système judiciaire fort qui va nous permettre de maintenir une société libre et démocratique. On est privilégié de vivre dans une province comme le Québec, notamment grâce à un système de justice de qualité. Sachant qu’il y a des étudiants qui veulent faire carrière dans ce domaine, je trouve cela encourageant. J’espère qu’ils vont adhérer à ces valeurs pour justement contribuer au maintien de notre système de justice. »



1 Loi sur les juges, L.R.C. 1985, c. J-1, art. 60(1).

2 CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE. Principes de déontologie judiciaire, 2021, consulté le 26.12.2024, en ligne : ˂ Ethical Principles for Judges / Principes de déontologie judiciaire ˃.

3 CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE. Accueil. À propos. Qui sommes-nous? Comité sur la formation des juges (Mandat), consulté le 26.12.2024, en ligne : ˂ JEC ToR 2022-04.pdf ˃.

4 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), art. 92(14).

5 Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16.

6 COUR SUPÉRIEURE DU QUÉBEC. Plan stratégique. Cour supérieure du Québec. 2024-2029, Direction de la Cour supérieure du Québec, 2024, consulté le 26.12.2024, en ligne : ˂Plan stratégique - Cour supérieure du Québec 2024-2029˃.

7 Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01.

8 Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7.

9 Frédéric BACHAND. « Les principes généraux de la justice civile et le nouveau Code de procédure civile », (2015), 61-2 Revue de droit de McGill.

10 Image: https://ca.pinterest.com/pin/58617232655993301/

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