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Embrasser l’incertitude

Auteur·e·s

Mathilde Demers

Publié le :

14 février 2025

Au printemps dernier, le livre Faire la romance, écrit par Sarah-Maude Beauchesne, a réchauffé mon âme : il a légitimé mes doutes liés à la maternité. La Saint-Valentin approchant, je souhaite ouvrir mon cœur dans l’espoir d’apaiser ceux d’autres femmes qui sont dans cette zone grise inconfortable.

Je me projette trop dans le futur.
En mère, je me vois calme et impatiente.
Je me vois compréhensive et exigeante.
Je me vois nerveuse et confiante.
Rien n’a de sens.
Cela revient à dire que je n’arrive pas à me projeter dans le futur.

J’ai 19 ans. « T’as le temps d’y penser », me dit-on. Pourtant, je suis pressée. Je vois des dates d’échéance qui n’existent pas. Je me sens déjà essoufflée. J’aimerais donner une direction à ma vie.


Mon intuition connaît l’avenir. Donc, j’essaie de bien me fier à mon intuition. Si bien que, sous tous ses angles, j’analyse mon intuition. Je dénature mon intuition. En doutes se transforme mon intuition. Je perds de vue mon intuition.


La plus grande décision de ma vie ne peut se prendre sans considérer toutes les possibilités. Les possibilités de la vie de mon enfant sont infinies. C’est une question aux facettes qui se multiplient. Je ne pourrai jamais pleinement en toucher le fond.


Alors, je me noie dans mes doutes. Alors, je sens les yeux de mon enfant rivés sur moi. Alors, j’ai honte de douter.


J’envie ceux pour qui il s’agit d’une évidence, mais je ne peux le comprendre. Les enjeux sont de la plus haute importance : un parent n’a pas droit à l’erreur sans irrémédiables conséquences.


Exposer un être vivant à la maladie, aux changements climatiques, aux injustices.

Exposer un être vivant à mon anxiété, à mon intransigeance, à mon acerbité.


Je me projette trop dans le futur.

En mère, je me vois calme et impatiente.

Je me vois compréhensive et exigeante.

Je me vois nerveuse et confiante.

Rien n’a de sens.

Cela revient à dire que je n’arrive pas à me projeter dans le futur.


Sans cesse, je ressasse le passé.


Divorce de mes parents. Bombe nucléaire dans ma vie. Fin de ma famille nucléaire.


Je ne pourrais jamais revivre cela. Surtout, je ne pourrais jamais faire vivre cela à mon enfant. J’ai compris qu’aucune famille n’en est à l’abri. Je me suis convaincue que la solution était de ne pas avoir d’enfants.


J’ai jugé mes parents de ne pas avoir appris à se découvrir dans la vingtaine en étant seuls, jugé de ne pas avoir su profiter de leur jeunesse, jugé de ne pas avoir développé leur indépendance. J’ai blâmé leur échec amoureux sur le dos de leur jeune âge au moment de leur rencontre. 17 et 18 ans.


J’avais 17 ans et E. en avait 18 quand nous nous sommes rencontrés.


J’ai peur, Petite Moi, de commettre l’erreur que je m’étais juré de ne pas répéter et d’en faire à mon tour subir les conséquences à nos enfants.


Pour toi, E., il s’agit d’une réponse définitive : tu veux des enfants. Je ne veux pas te faire perdre ton temps. Je ne veux pas prendre cette décision pour toi.


E., tu m’accuses d’être pessimiste. En ce que tu considères être du pessimisme, j’y vois du réalisme; en ton optimisme, des illusions. Quand je pense en vouloir, j’ai peur d’être brouillée par tes désirs.


J’ai peur d’être biaisée par ce que la société attend de moi.


Dans leur ventre, les mères portent les bébés.

Sur leur dos, les mères portent la charge mentale.


Maman-nourrice. Maman pense à allaiter.

Maman-enseignante. Maman pense aux devoirs.

Maman-cuisinière. Maman pense aux repas.

Maman-secrétaire. Maman pense à noter les rendez-vous.


Papa demande : « Comment est-ce que je peux t’aider? »


Grand-maman m’a déjà dit : « Tant que les hommes aideront, il y aura un problème. »


À la télé, Marwah Rizqy annonce qu’elle quittera la politique pour sa famille.


Moi, je me demande : « Est-ce qu’encore en 2025 être mère et avoir une carrière ambitieuse sont compatibles? »


J’ai peur de crouler sous la charge.


J’ai la vive impression que je ne pourrais pas être la mère que j’ai eue. Celle qui s’est oubliée pour sa famille. Celle qui travaillait trois jours par semaine pour être présente auprès de sa famille. Celle qui m’amenait partout avec elle et me gardait à la maison tout l’été. Celle qui corrigeait tous mes devoirs et celle qui m’a appris à être disciplinée.


J’ai peur de décevoir ma mère en étant mère.


Être mère, c’est l’apogée de l’abandon de soi. Sacrifices sur sacrifices.


Ironiquement, j’ai peur de devenir mère pour des motifs égoïstes. Parce que j’ai peur de vieillir seule. Parce que je passerais à côté de tant d’émotions, de tant de douceur, de tant de moments et de fiertés. Parce que je ne veux pas te perdre, E.


Aussi inconfortable cela peut-il être, c’est une chance de simplement pouvoir se poser la question. Les doutes me permettront de mieux y réfléchir. C’est pourquoi il me faut embrasser l’incertitude.

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